Tout d'abord, je vois que tu as déjà composé de la musique de jeux vidéo auparavant. Mais Patrick's Parabox a l'air d'être le premier qui ne soit pas du tout narratif. Comment on s'y prend pour composer de la musique pour un puzzle-game ?
Priscilla Snow : Bonne question ! En effet, Patrick's Parabox est le premier jeu qui n'a aucun aspect narratif (ou émotionnel) dont je puisse tirer parti. D'une certaine façon, c'était le plus gros défi de ce projet.
Il a fallu que je crée du caractère et une personnalité pour des mécaniques de jeu plutôt que pour une histoire, j'ai donc essayé d'écrire des choses qui puissent s'imbriquer à ces concepts de façon abstraite (par exemple « mouvement circulaire » pour le titre Cycle, « cartoon étrange » pour Possess, etc.)
Ensuite, le défi a été de trouver l'équilibre pour qu'il se passe suffisamment de choses dans la musique pour les joueur·euses qui l'écoutent attentivement (y compris hors-jeu), tout en pouvant se fondre en arrière-plan lorsqu'on joue. Si l'on est super concentré sur un puzzle, la musique n'essaie pas d'attirer notre attention à tout prix.
Dans le trio de titres baptisé « Infinite » (pistes 16, 17 et 18, ndr), j'ai été plus loin et fait en sorte que ces titres soient plus de style ambient que les autres afin de laisser plus d'espace au joueur dans sa réflexion.
Dans un jeu aussi peu bavard, la musique peut être un élément perturbateur. Voire même gêner les joueur·euses. Comment éviter de les déranger tout en les mettant dans l'ambiance ?
La plupart du temps, après avoir terminé une piste, je la laissais tourner en boucle pendant une heure alors que je faisais autre chose pour voir comment elle s'intègre en arrière-plan.
J'ai utilisé d'autres techniques, comme supprimer la mélodie et la basse quand on atteint la section principale d'un puzzle pour accorder une pause aux joueur·euses et pour que les mélodies ne viennent pas parasiter leur attention. J'ai aussi appliqué des filtres EQ et de la réverbération pour adoucir les sonorités quand les joueur·euses résolvent un puzzle.
Nous [avec Patrick Traynor, le game designer] avons essayé de mettre en place une musique de type « challenge mode » [à l'approche de la résolution d'un puzzle], mais nous n'aimions pas le résultat, que nous avons trouvé dissonant.
Utiliser des paramètres pour modifier subtilement la musique en l'adaptant aux actions des joueur·euses est l'une des choses que je préfère à propos de la composition de musique de jeux vidéo.
En quoi ton processus créatif était-il différent pour Patrick's Parabox que pour tes anciens projets ?
Ma première expérience de composition de musique « pour résoudre des puzzles » remonte à 2018, lorsque j'ai signé la réédition de la BO de A Good Snowman is Hard to Build. Mais c'est un jeu très différent de Patrick's Parabox malgré leur ADN Sokoban commun.
L'environnement et le style artistique influencent grandement ce qu'on peut faire avec la musique, presque autant son histoire. Pour Snowman, j'ai pu utiliser des bruits de nature, comme des oiseaux ou du vent, pour agrémenter la musique et l'ambiance. Pour Parabox, j'ai développé une palette de sons très spécifique qui me servait de base de travail. Des sons très purs, synthétiques ; des leads décalés, une percussion entraînante. Des choses qui « sonnent mathématiques » sans pour autant verser dans la chiptune. C'était donc un autre type de contrainte créative.
Je me suis libérée de ça avec le titre Reception, qui utilise quelques « vrais » instruments comme un piano électrique et un vibraphone. Je me suis dit que ça collerait bien puisque je voulais que la salle de réception paraisse accueillante et rafraîchissante après la résolution de tous ses puzzles ! C'est le thème principal... mais façon relax.
Tu as aussi travaillé au sound design du jeu n'est-ce pas ? Est-ce que c'est le sound design qui a guidé la composition musicale, ou l'inverse ?
Tout à fait, je me suis occupée du sound design. Je dirais que les deux parties se sont nourries mutuellement. C'était plutôt simultané.
Je suis d'abord partie du thème principal, puisque nous savions que cela poserait les bases pour tout le reste. Mais le reste de la musique et du sound design a évolué au fil de l'eau.
Comme la musique, le sound design est très synthétique, mais je voulais aussi offrir à la boîte que le joueur contrôle une certaine personnalité. La première chose que j'ai créée était un joli petit *squish* qui apparaît lorsqu'on se cogne contre un mur. La plupart des sons les plus fréquents (se déplacer, se cogner, pousser les boîtes) ont des variations et des modulations subtiles de volume et de hauteur (pitch) pour prévenir la lassitude des joueur·euses.
Je pense que mon son préféré (à part le *squish*) est le son de célébration qui arrive une fois que l'on a résolu les puzzles nécessaires pour progresser ; le pitch des *pops* est d'ailleurs échelonné en fonction du nombre de puzzles qu'il faut résoudre dans la zone !
Quel est ton titre préféré de la bande originale ?
ALORS. J'ai une réponse-blague et une vraie réponse à cette question.
Réponse-blague : apparemment, Patrick et moi avons beaucoup aimé le titre Empty, au point que nous l'avons réutilisé dans Transfer. Il a été utilisé pour deux niveaux distincts pendant plus d'un an et nous ne l'avions jamais remarqué !
On écoutait tous deux toute la bande originale en jouant au jeu, constamment, donc nos cerveaux n'ont jamais percuté, genre « euh ? On l'a pas déjà entendue, celle-là ? »
Quand Patrick m'a envoyé un message (il y a environ une semaine) après l'avoir finalement remarqué, il était en mode « nooooon, comment ? Comment nous avons fait pour passer à côté ? » (spoiler : il y a énormément de niveaux, et énormément de musique pour un jeu de cette ampleur. Et donc aucun de nous n'a percuté). Je veux dire : les deux titres ont deux durées différentes et même deux mix différents ! Je pense que nos cerveaux ont juste accepté qu'il s'agissait d'une sorte de niveau méta de récursivité...
Je me sens un peu embarrassée à propos de ça. Peut-être qu'un jour j'écrirais un nouveau morceau pour que chaque zone ait vraiment un thème unique. Mais si jamais je n'ai pas l'opportunité de le faire, Patrick m'a rassuré comme ça :
« Empty est à propos de boîtes qui sont entièrement, ou quasiment, vides. De fait on peut les "quitter" depuis n'importe où. Transfer parle de boîtes qui ont des endroits vides sur les bords, ou qui sont entièrement vides pour que l'on puisse y "entrer" de n'importe où. »
Sa réponse m'a fait me sentir un peu mieux. Même sans histoire, je veux que la musique soit particulière. Si un thème, ou une idée, sont répétés, je veux qu'il le soit pour une bonne raison.
La vraie réponse maintenant ? J'aime vraiment Open ! Il a ma partition de basse préférée de la bande-son, et je trouve qu'il a ce côté fun, jovial de « pleine nature ». D'ailleurs, je n'étais pas sûre qu'il fonctionnerait à la base. Il n'y a aucune boîte à imprimé vache dans le jeu...
Et une réponse bonus que personne n'a demandée : le titre le plus fun à produire était la version « musique d'ascenseur » du thème de la zone de réception. J'espère qu'il attirera l'attention des auditeur·ices !
Et enfin, avant de nous quitter, est-ce que tu as une musique de jeu vidéo qui t'obsède en ce moment ?
Hmmm, le seul jeu auquel j'ai joué depuis février dernier est Elden Ring. J'aime vraiment beaucoup les voix dans la seconde partie du combat contre le boss de fin. Il y a un glissement vraiment amusant dans la musique qui vient soutenir le drame de ce qui se joue sous nos yeux. (Je l'ai battu seule hier soir !)